D’Albert CAMUS

Par Raphaël ENTHOVEN

 

Le Théâtre de Poche-Montparnasse propose une série de lectures commentées du recueil d’essais, Noces d’Albert Camus par Raphaël Enthoven.

 

 

L’absurde, la révolte et l’amour

Par un malentendu qu’on doit à Camus lui-même, l’œuvre du philosophe est indûment découpée en trois étapes : l’expérience de l’absurde (la confrontation de l’appel humain et du silence des choses), puis la révolte, et enfin l’amour.
Or, rien n’est plus faux.
D’abord, l’œuvre de Camus ne progresse pas à la façon d’une dialectique récusant après coup chacun de ses moments (comme on se débarrasse du marchepieds dont on n’a plus besoin) mais elle s’approfondit, se creuse elle-même et conserve, comme un secret douloureux, l’absurde au coeur de la révolte et la révolte au coeur de l’amour.
Et pourquoi le fait-elle? Pourquoi n’est-elle pas, à la manière des systèmes classiques, un noble édifice dont les étages disparaissent à mesure qu’on s’élève? Comment se fait-il que l’intranquillité demeure malgré le choix d’un engagement? Pourquoi les camusiens sont-ils contemporains de l’absurde, de la révolte et de l’amour?
Parce que, contrairement à ce qu’il dit lui-même, c’est par la grande porte de l’amour (et non la lorgnette du désarroi qui étreint une conscience en exil sur Terre) que Camus entame son œuvre ! Noces en témoigne, qui déplie sur quatre nouvelles l’écheveau d’une âme qui « pense clair et n’espère plus » mais ne voit, dans ce désespoir vainqueur, qu’une raison supplémentaire de jouir de l’existence.
De fait, hormis quelques fragments du Premier homme, rien n’égale, dans l’œuvre du maître, cet invraisemblable poème en prose où une conscience en exil éprouve simultanément le sentiment de l’extase, la passion des corps chauds, le délice de l’eau fraîche et le refus de l’injustice.
Raphaël Enthoven.

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